La jeunesse d’Étienne

  1. Une date de naissance mystérieuse
  2. Autour de la jeunesse d’Étienne
  3. La Grande Paix
  4. Une autre épidémie
  5. Monnaies de carte
  6. Interdit de sortir de l’église pour fumer!

Une date de naissance mystérieuse

Voilà, on est rendu au prochain chapitre! Essayons de tirer au clair la date de sa naissance… et de son décès, mais pour le décès, attendons plutôt la fin de cette deuxième génération.

Au recensement de 1716, Marie-Anne Métru, veuve de Claude Philippeaux vit à Québec et a quatre enfants avec elle, dont Étienne qui a 28 ans, donc né aux environs de 1688.[1]

Les deux seuls autres documents qui mentionnent Étienne sont le contrat de mariage signé devant le notaire Rivet le 6 juin et l’acte de mariage, presque illisible, à la Pointe de Lauson le 9 juin 1718. Mais pas de date de naissance ou d’âge mentionnée.

Tanguay, dans son dictionnaire généalogique, situe la naissance d’Étienne entre celles de Marguerite et Geneviève, sans mentionner de date.[2]

Selon d’autres, il se pourrait que Charles François, né le 18 avril 1687 et dont on perd la trace, soit en fait Étienne, qui aurait déclaré ce nom à son mariage. Est-ce que ses parents avaient décidé de changer son nom après le baptême?[3] Alors, comme il faut avoir une date de naissance, pourquoi pas celle-ci: 18 avril 1687!

Marie-Angélique, sa future épouse, est la fille d’Ignace Guay et de Perrine Samson, la fille de Gabriel, donc la tante d’Étienne. Elle est née le 18 février 1697 et a été baptisée deux jours plus tard par le curé Boucher à la Pointe-de-Lévy. Les parrain et marraine étaient Pierre et Marguerite, frère et sœur de Perrine.

Étienne passe les dix premières années de sa vie sur la terre près de la côte Guilmour, près de ses cousins et cousines et a certainement dû jouer avec les enfants Jolly, Chauveau et Albert. Il déménage ensuite avec sa famille sur la terre de Bienville.

On est en 1699, Étienne a une douzaine d’années. Au mois de mai, son père Jacques et sa sœur Françoise âgée de 14 ans décèdent à une journée d’intervalle, sans qu’on ne connaisse la cause. Une épidémie de petite vérole se déclare dans la région et fera une centaine de morts; est-ce la cause de leur décès?

Marie-Anne Metru laisse la terre de Bienville au soin d’Ignace, son plus vieux, âgé de 24 ans. Il devra prendre soin de ses trois plus jeunes frères, Jean, Joseph et Louis, âgés de 5, 3 et 2 ans. Ignace se mariera environ un mois plus tard avec Marie-Charlotte Lemieux… et auront un seul enfant qui naîtra 9 mois plus tard!

Marie-Anne quitte pour Québec avec les 4 enfants plus vieux (Jeanne, Françoise, Etienne, Geneviève, âgés de 19, 18, 13 et 7 ans). Marguerite se mariant cette année-là a probablement fait un court séjour à Québec… ou est peut-être restée aider Ignace et Marie-Charlotte!

Autour de la jeunesse d’Étienne

La Nouvelle-France continue à se développer et à étendre son territoire. L’adolescence d’Étienne a été marquée par différents événements d’importance pour la suite de la colonie.

La Grande Paix

En juillet 1701 débutent les négociations officielles du traité de la Grande Paix de Montréal par le Sieur de Callière, gouverneur de la Nouvelle-France, et les représentants de 39 nations amérindiennes… Ce traité met fin aux guerres intermittentes du XVIIe siècle (entre les Iroquois, les Français et leurs alliés autochtones) et marque un tournant dans les relations franco-amérindiennes. [4]

Assemblée du 4 août et signature du traité

.

La signature s’effectue le 4 août, lors d’une importante cérémonie organisée dans une grande plaine au sud de la Pointe-à-Callière. Une grande arène de 40 mètres de long pour 24 mètres de large est alors aménagée pour l’occasion. De 2000 à 3000 individus, dont 1300 représentants autochtones, participent à cette imposante assemblée. Outre les représentants français, de nombreux Montréalais de toutes les classes sociales assistent à la rencontre: nobles, paysans, commerçants ou encore religieux (Jésuites, Sulpiciens, Récollets, etc.)

Après que le gouverneur Callière ait ouvert la conférence, debout sur une plateforme, les chefs autochtones, dont certains sont habillés « à la française » afin de faciliter les rapprochements diplomatiques, enchaînent les discours de paix. La compréhension des échanges est assurée par cinq traducteurs, dont quatre sont Jésuites. Après les discours, le gouverneur Callière fait venir le traité. Les représentants de chacune des nations apposent ensuite la marque de leur clan au bas du texte, le plus souvent un animal.

Un grand banquet suit l’acte solennel puis le calumet est échangé par les différents chefs, chacun d’entre eux prononçant une harangue de paix. L’entente est importante. Elle met fin aux guerres entre les Français et les Iroquois, ainsi qu’entre ces derniers et les autres nations autochtones alliées des Français.[5]

Cette paix (qui a quand même été ponctuée de nouvelles escarmouches) a permis de faciliter le commerce et l’expansion de la colonie vers l’Ouest (en autre Détroit) et le Sud et d’assurer la fin des conflits entre les nations autochtones.

Une autre épidémie

1702, une autre épidémie de petite vérole (variole ou picotte) débute en novembre à Québec[6]. Elle s’étend rapidement à toute la colonie et fait de deux à trois milles morts incluant les amérindiens, dont 250 à 300 morts dans la seule ville de Québec. Quand on pense que la ville comptait environ 1800 habitants… ce qui revient à un taux de 1,400 morts par 100,000 habitants. Aujourd’hui, cela se traduirait par environ 140,000 morts dans la seule grande région de Québec… Allo COVID-19!

Si on fait abstraction des épidémies ayant décimé les populations autochtones lors de la période des premiers contacts, l’épidémie de variole de l’hiver 1702-1703 est, sans contredit, pour les populations de souche européenne, la plus meurtrière de toute l’histoire canadienne. 

La moitié de la population totale aurait été touchée et environ 10 % des habitants décèdent en six mois.      

C’est comme si, sur le territoire actuel du Québec, 800 000 personnes mouraient en quelques mois !  

La variole est deux fois plus contagieuse que la grippe saisonnière ou la COVID-19, mais deux fois moins que la rougeole.

Une compilation des décès enregistrés à Québec révèle que 286 personnes sur une population d’à peine plus de 2000 habitants décèdent en l’espace de six mois. C’est dire l’hécatombe.

Extrait du Journal de Québec, 26 avril 2020, L’épidémie de variole de 1702 – 1703

Monnaies de carte

Comme la Nouvelle-France vendait moins à la mère patrie qu’elle ne recevait, il y avait très peu de pièces de monnaie en circulation; on procédait beaucoup par troc et garantie de paiement avec des objets.

En 1685, l’intendant Jacques De Meulles doit payer les soldats qui ont été envoyés par le Roy… mais sans avoir  l’argent pour les payer. Souvent, les navires arrivant de France retardaient, ce qui aggravait le manque de monnaie au pays. Pour y parvenir, il crée la monnaie de cartes!

Le papier de qualité était rare, il n’y avait pas d’imprimerie mais beaucoup de jeu de cartes, activité qui meublait les longues soirées chez l’habitant. De Meulles utilise donc les cartes à jouer, y appose sa signature et son sceau et crée ainsi les premiers papier-monnaie. Lorsque le navire du Roy arrive, il rembourse ces cartes à leur pleine valeur.

Au cours des années, il y a de fréquents manque de liquidité et on doit effectuer régulièrement de nouvelles émissions de papier-monnaie.

En 1714, on évalue à 2 millions de livres le montant total de monnaies de carte en circulation. Certaines cartes valent jusqu’à 100 livres.[8]

Naturellement, certaines personnes s’essayèrent à la contrefaçon! Le chirurgien Pierre Malidor fut un de ceux-ci.

Le 7 mars 1690, un chirurgien subit un châtiment et se retrouve en prison pour avoir « falsifié onze cartes de quatre livres pièce, en contrefaisant l’écriture et signature du sieur de Verneuil trésorier de la marine, ensemble la signature du sieur Duplessis, et les cachets de Monsieur le gouverneur et de Monsieur l’intendant… Et pour réparation (l’intendant) condamne ledit Malidor, d’être battu et fustigé, nu, de verges, sur les épaules, par l’exécuteur de la haute justice, à la porte de ce palais, de celle de la paroisse Notre-Dame de cette ville, et des carrefours et lieux accoutumés, en chacun desquels il recevra six coups de fouet. »[9]

Encore une autre activité sur la place du marché à Québec!

Au cours de l’automne 1717, quatre soldats en garnison à Montréal, Nicolas Petit, Jacques Laroche dit Léveillé, Nicolas Payet dit Jolibois et Pierre Vendard dit Vincent, produisent de fausses cartes chez le cabaretier Saint-Jean. Le soldat Nicolas Petit écrit sur la carte «pour la somme de», et frappe avec un poinçon les cachets, Nicolas Payet imite les signatures des autorités, Pierre Vendard vérifie la «qualité» de la carte fabriquée. Le tambour Jacques Laroche bat de son instrument pour couvrir le bruit des diverses opérations.[10]

Nicolas Payet dit Jolibois, soldat de la compagnie du Sieur de Lacorne, âgé de 29 ans, originaire de Paris, est trouvé coupable d’avoir fabriqué de fausses cartes et condamné à avoir le poing coupé puis à être pendu ; il réussit à s’évader des prisons de Québec avant son exécution.[11]

On ne riait pas avec les fraudeurs[12].

On utilisa cette monnaie jusqu’aux environs de 1712-1713. De nouvelles émissions furent faites à partir de 1732 jusqu’à la conquête.

Ce papier-monnaie devait être utilisé assez couramment, probablement par Étienne et de façon certaine par sa mère. Comme on l’a vu plus haut, lors du deuxième inventaire fait en 1710 pour Marie-Anne Métru, on indique: « en argent monnoyé a été trouvé trois cents livres en cartes monnaie ayant cours ici ».

Mais une déconvenue attendait Marie-Anne et les gens ayant conservé trop de monnaie de carte :

L’intendant développa la mauvaise habitude d’émettre de la monnaie de carte. À mesure que la confiance s’installait dans la nouvelle monnaie, la population commençait en effet à la considérer comme un avoir stable et à en conserver une certaine proportion au lieu d’en demander le remboursement au complet chaque année. Mais au lieu de garder des réserves de pièces métalliques afin de couvrir la monnaie de carte encore en circulation, les autorités coloniales augmentèrent leurs dépenses. Elles commencèrent également à émettre de la monnaie de carte au-delà de ce que la quantité de fonds envoyés annuellement par le gouvernement français aurait dû permettre. Les cartes étaient certainement très utiles, mais les prix commencèrent tout de même à grimper à mesure que les gens réalisaient qu’il y en avait une quantité de plus en plus grande en circulation.

Au début des années 1700, la Guerre de succession d’Espagne s’étend aux colonies française et anglaise d’Amérique du Nord. Les dépenses militaires augmentaient continuellement et la croissance de la quantité de monnaie de carte dépassait largement celle du budget colonial. En 1705, la couronne française refusa de racheter la totalité des cartes qu’on lui avait présentées, ce qui signifiait concrètement une dévaluation de la monnaie de carte. Les autorités coloniales répondirent par la création de plus de papier-monnaie. L’inflation était galopante et l’économie coloniale en débandade. En 1714, la Couronne décida de se débarrasser de ce système et de racheter les cartes à la moitié de leur valeur nominale.[13]

On se croirait presque à notre époque!

Interdit de sortir de l’église pour fumer!

Le curé Boucher était en poste dans la paroisse de Pointe de Lévy depuis 1690 et semblait respecté de tous… ou presque!

JE Roy, dans l’Histoire de la seigneurie de Lauzon[14], rapporte quelques évènements savoureux!

En 1708, les marguillers se plaignent que des paroissiens ne paient pas les rentes sur les bancs à temps et que certains ont plusieurs années de retard. L’intendant ordonne que les paiements soient faits au plus tard à la Ste-Anne… au lieu de la St-Jean. (pour les incultes, on passe du 24 juin au 26 juillet!)

En 1709, le curé Boucher se plaint que certains habitants ne respectent pas les dimanches et jours de fête en faisant marcher leurs charrois, sans la permission du curé, et, par-là, « contreviennent impunément au commandement de Dieu qui défendent expressément, ces jours-là, les œuvres serviles. » L’intendant se range du côté du curé et permet en plus aux officiers de milice de saisir les charrois et tout ce qu’ils contiennent en cas de non-respect, lesquels biens confisqués seront remis à la fabrique!

On est en 1710. On a d’autres problèmes, surtout avec les jeunes! L’intendant Raudot doit émettre une autre ordonnance :

… Le scandale continue toujours, se trouvant des personnes assez hardies, ou pour mieux dire assez impies, pour ne pas porter dans les Églises tout le respect qu’ils doivent à des lieux où se célèbrent nos sacrés mystères, mais aussi par le mépris qu’ils font de la parole de Dieu, affectant d’en sortir lorsque leurs curés se mettent en devoir de la leur annoncer, et comme conduite si elle continuait pourrait attirer la colère de Dieu, sur tout ce pays, et sur nous, si étant en état de la réprimer nous étions assez faibles pour ne pas nous y opposer de tout notre pouvoir, et étant aussi averti que le plus grand désordre vient des jeunes gens qui faute d’éducation, ou d’être instruit par leurs pères et mères causent souvent tout le scandale, et qu’ils sont même assez hardis pour fumer auprès de l’église après qu’ils en sont sortis, pour ne pas entendre les instructions qu’on veut leur donner et qu’ils se promènent dans les maisons voisines, menaçant même ceux qui nous pourraient donner quelques avis de leur mauvaise conduite de les maltraiter. Pour pourvoir à tous ces désordres:

Nous ordonnons que nos précédentes ordonnances soient exécutées, et suivant icelles, faisons privations, défenses à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’ils soient, de causer dans les églises, ou par d’autres manières de manquer au respect qu’ils doivent à des lieux si saints, ni de fumer à la porte, et auprès d’icelle, nous faisons aussi défense d’en sortir à moins de grande nécessité dans le temps que les curés font leurs prosnes à peine de dix livres d’amende contre les convenants payable même par les pères de famille pour leurs enfants et aussi de prison en cas de récidive…[15]

Étienne a 21 ans et vit à Québec avec sa mère, Jean, Joseph et Louis les ont rejoints, donc ce ne sont pas eux les coupables! 😉


[1] PRDH/acte/99503

[2] (Tanguay, 1871, p. 538)

[3] Idée vue sur quelques sites, dont Nos Origines https://www.nosorigines.qc.ca/GenealogieQuebec.aspx?genealogie=Samson_Etienne&pid=30867

[4]  https://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_paix_de_Montréal

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_paix_de_Montréal

[6] Il y en eu d’autres en 1710, 1718, 1733, 1743, 1750 et 1755

[7] https://www.journaldequebec.com/2020/04/26/photos-lepidemie-de-variole-de-1702-1703-une-tragedie

[8] Monnaie de carte | l’Encyclopédie Canadienne (thecanadianencyclopedia.ca)

[9] Cartes à jouer inscrites – La monnaie de carte (Canada) – Duplessis – Wikicollection – Gestion et partage de sa collection en ligne

[10] Les cabarets au Québec (en Nouvelle-France) « Histoire du Québec (histoire-du-quebec.ca)

[11] Cartes à jouer inscrites – La monnaie de carte (Canada) – Duplessis – Wikicollection – Gestion et partage de sa collection en ligne

[12] Encore plus sévère! Le 2 septembre 1736, Louis Mallet et sa femme, Marie Moore, furent, eux, condamnés à la pendaison à Québec, pour avoir contrefait de la monnaie de carte.

[13] La monnaie de carte en Nouvelle-France (quebecoislibre.org)

[14] (Roy J. , Histoire de la seigneurie de Lauzon, vol. 2, 1898, pp. 66-68)

[15] (Roy J. , Histoire de la seigneurie de Lauzon, vol. 2, 1898, p. 67)

Laisser un commentaire