En Nouvelle-France, au même moment

  1. La Nouvelle-France à cette époque
  2. Qui sont les plus cruels, les Français ou les Iroquoiens ?
  3. Québec et la Pointe-de-Lévy vers 1660

La Nouvelle-France à cette époque

Québec 1608, Trois-Rivières 1634, Montréal 1642…

Champlain, Laviolette, Maisonneuve…

La Nouvelle-France se développe, mais lentement… En 1627, on estime que la population s’élevait à environ une centaine de personnes, dont une douzaine de femmes, surtout des jeunes filles[1]. Afin de pallier ce problème, le cardinal Richelieu crée en 1627 la Compagnie des Cent-Associés, un des buts étant d’augmenter la population d’environ 500 personnes par an ! Ce qui ne se réalisera pas… Au début des années 1660, on est probablement rendu à environ 2 500 personnes.

Comme on l’a vu, la situation en France, les guerres, la famine ne favorisent pas le développement de la Nouvelle-France. D’autres événements, comme la prise de Tadoussac et Québec par les frères Kirke (1629) ou les nombreuses guerres ou escarmouches avec les Iroquois, minent le moral des gens.

Qui sont les plus cruels, les Français ou les Iroquoiens ?

Différents écrits nous relatent des histoires qui nous semblent aujourd’hui inimaginables…

La mort des Pères Brébeuf et Lallemand, en mars 1649

Tel que décrit dans Les relations de Jésuites, par le Père Vimont :

Leurs supplices ne furent pas en mesme temps. Le Pere Jean de Brebeuf fut dans le fort de ses tourmens environ trois heures, le mesme jour de sa prise le 16 jour de Mars et rendit l’ame sur les quatre heures du soir. Le Pere Gabriel Lalemant endura plus longtemps, depuis les six heures du soir, jusqu’environ neuf heures du lendemain matin dix-septiesme de Mars. Àvant leur mort, on leur arracha le cœur à tous deux, leur ayant fait une ouverture au dessus de la poictrine ; et ces Barbares s’en repeûrent inhumainement, beuuant leur sang tout chaud, qu’ils puisoient en sa source d’vne main sacrilège. Estans encore tout pleins de vie, on enleuoit des morceaux de chair de leurs cuisses, du gras des iambes et de leurs bras, que des bourreaux faisoient rostir sur des charbons et les mangeoient à leur veuë.

Ils auoient tailladé leurs corps en diuerses parties et pour accroistre le sentiment de la douleur, ils auoient fourré dans ces playes des haches toutes en feu. Le Pere Jean de Brebeuf auoit eu la peau arrachée qui couvre le crâne de la teste : ils luy auoient coupé les pieds et décharné les cuisses jusqu’aux os, et luy auoient fendu d’vn coup de hache, vne mâchoire en deux. Le Pere Gabriel Lalemant auoit receu vn coup de hache sur l’oreille gauche, qu’ils luy auoient enfoncé iusques dans la cervelle qui paroissoit à découuert ; nous ne vismes aucune partie de son corps, depuis les pieds jusqu’à la teste qui n’eust esté grillée, et dans laquelle il n’eust esté bruslé tout vif, mesme les yeux où ces impies auoient fourré des charbons ardens.

Ils leur auoient grillé la langue, leur mettant à diuerses fois dans la bouche, des tisons enflammez et des flambeaux d’escorce, ne voulant pas qu’ils invoquassent en mourant, celuy pour lequel ils souffroient, et qui jamais ne pouvoit mourir en leur cœur. J’ay sceu tout cecy de personnes dignes de foy, qui l’ont veu, et me l’ont rapporté à moy-mesme, et qui alors estoient captifs avec eux, mais qui ayant esté reseruez pour estre mis à mort en vn autre temps, ont trouvé les moyens de se sauver. Mais laissons ces objets d’horreur et ces monstres de cruauté ; puis qu’vn jour toutes ces parties seront douées d’vne gloire immortelle, que la grandeur de leurs tourmens fera la mesure de leur bonheur, et que dés maintenant ils vivent dans le repos des Saincts et y seront pour vn jamais.[2]

Deux suppliciés iroquois, juin 1660

Vers les dix heures du soir, le 5 juin 1660, un groupe de vingt Montagnais accompagné de huit Français surveillent l’arrivée d’un canot avec des iroquois qui avaient enlevé Marie Caron avec ses quatre enfants. Voici le récit qu’en fait JE Roy, dans le premier volume de l’Histoire de la seigneurie de Lauzon, page 115.

Des huit Iroquois qui étaient dans le canot, trois furent noyés ayant versé en abordant et cinq furent garrottés et menés en triomphe à Québec pour y être brûlés. Ceci se passait un samedi.

On fit subir aux prisonniers sauvages les derniers supplices. Ils eurent les ongles arrachés, les doigts coupés, les mains et les pieds brûlés et le corps rôti avec des tisons et des haches chauffées à blanc. Ces tortures durèrent toute la toute la nuit et le jour suivant. Les deux premiers qui furent torturés furent le grand-père et le petit-fils, le premier, vieillard de 50 à 60 ans, puissant et robuste, et l’autre âgé de 17 à 18 ans, presque un enfant, de naturel tendre, et d’une complexion plus délicate.

C’était la coutume des sauvages de ne point cesser leur tourment qu’ils n’eussent fait crier le patient. Mais ni les lames de fer rouge dont il lui grillait les chairs, ni les cendres rouges qu’on lui jetait sur la tête après l’avoir scalpé ne purent arracher une plainte de la poitrine du vieux sauvage. Son petit-fils, au contraire, jeune et délicat, ne pouvait imiter son grand-père qui se moquait des tourments.

Et le vieillard touché des cris lamentables de son petit-fils à qui on perçait un pied d’un fer rouge, pendant qu’on brûlait l’autre en l’appliquant et le pressant sur une pierre rougie dans le feu, ne put s’empêcher de dire aux bourreaux : Que ne laissez-vous cet enfant ? Ne suis-je pas capable de satisfaire votre cruauté sans l’exercer sur cet innocent ? On se jeta alors sur le vieillard et avec des épées rougies au feu dont on le lardait dans les parties les plus sensibles avec des tisons qu’on appliquait sur les chaires vives et des flammes dont on l’environnait, on fit tout ce qu’on put pour lui arracher une plainte, mais tous ces cruels efforts furent inutiles et il parut comme insensible au milieu de ces horribles tourments.

Enfin ses forces se trouvant épuisées par la perte de son sang et par de si longues tortures, on le jeta sur un brasier ardent ; mais comme il était robuste et vigoureux, il se releva soudainement au milieu des flammes, fendit la foule et prit sa course, paraissant comme un démon en feu, les lèvres coupées, sans peau sur la tête et presque sur tout le corps. Et quoiqu’il eût la plante des pieds et des jambes toutes rôties, il courait si vite qu’on eut peine à le rejoindre, mais comme ce n’était qu’un dernier effort de la nature, ayant enfin tombé, il fut repris, et on le jeta dans le feu où il expira[3].

La bataille de Long Sault, au cours de laquelle Dollard des Ormeaux perdit la vie, avait eu lieu environ un mois auparavant, en mai 1660. 17 colons, 40 Hurons et 4 Algonquins avaient repoussé plusieurs centaines d’Iroquois, qui voulaient s’attaquer à Ville-Marie.

« Après la perte de la Huronie, dans les années 1650, l’administration coloniale, les Jésuites, les habitants de la Nouvelle-France et même leurs alliés autochtones demandent de l’aide de la France pour restaurer la sécurité et l’économie de la colonie ; leurs lettres et leurs demandes répètent que les Iroquois constituent la plus grande menace pour la survie de la colonie en Amérique »[4].

En 1663, Louis XIV prend les choses en main. Il élève la Nouvelle-France au statut de province française et y établit un gouvernement royal, constitué d’un gouverneur, d’un intendant et du Conseil Souverain. Il favorise l’émigration : nobles, commerçants, ouvriers, filles du roi… et les deux frères Samson !

Québec et la Pointe-de-Lévy vers 1660

La ville de Québec en est à ses débuts, mais déjà on y retrouve l’essence de la vieille ville. Voici une brève description faite par Pierre Boucher, gouverneur de Trois-Rivières, en 1656. La carte, le Véritable plan de Québec, en 1663, nous permet de mieux voir la ville et le tracé de certaines rues que nous parcourons encore à Québec. Le plan qui suit est plus détaillé au chapitre suivant.

Véritable plan de Québec, 1663

Briefue defcription de Québec, & de quelques-autres lieux.

Québec est donc la principale habitation où réside le gouverneur général de tout le pays, il y a une bonne forteresse et une bonne garnison : comme aussi une belle église qui sert de paroisse et qui est comme la cathédrale de tout le pays : le service s’y fait avec les mêmes cérémonies que dans les meilleures paroisses de France ; c’est aussi dans ce lieu que réside l’évêque. Il y a un collège de jésuites, un monastère de Ursulines qui instruisent toutes les petites filles ce qui fait beaucoup de bien au pays ; Aussi bien que le collège des jésuites pour l’instruction de toute la jeunesse de ce pays naissant. Il y a pareillement un couvent des hospitalières, qui est un grand soulagement pour les pauvres malades. C’est dommage qu’elles n’ont davantage de revenus. Québec est situé sur le bord du grand fleuve Saint-Laurent, qui a environ une petite lieu de large en cet endroit-là, et qui coule entre 2 grandes terres élevées ; cette forteresse, les églises et les monastères, et les plus belles maisons, sont bâties sur le haut ; Plusieurs maisons et magasins sont bâtis au pied du coteau, sur le bord du grand fleuve, à l’occasion des navires qui viennent jusque-là ; car c’est là le terme de la navigation pour les navires ; On ne croit pas qu’il puisse passer plus avant sans risque.

Du côté de la rive sud, c’est plus tranquille. Encore là, la peur des attaques de la part des Iroquois retarde l’implantation des colons.

Guillaume Couture, le premier habitant, s’y établit en 1647, sur un terrain situé entre l’actuelle école Saint-Joseph et l’église de Lauzon, tout près d’un ruisseau qui passait entre l’actuel couvent et le presbytère. En 1649, il se marie avec Anne Eymard, née à Niort, dans le Poitou.

À peu près à la même époque, les jésuites élèvent au pied de la falaise (où passe aujourd’hui la piste cyclable en face de la rivière Saint-Charles) une petite maison de pierres et y établissent une pêcherie pour l’anguille. On appelait cet endroit la cabane des pères et selon J.E. Roy, jusqu’en 1882, on pouvait encore voir « les ruines de cette première maison blottie dans un enfoncement du rivage, au pied de la montée qui a gardé le nom de la côte de la cabane des pères. »[5]

En 1655 le premier moulin de la Pointe-Lévy est construit par François Bissot. Le moulin était sur un grand bassin situé sur le terrain actuel de la cour de l’École Saint-Joseph, près d’où se trouve la piscine. Il n’en reste plus aucune trace.

JE Roy mentionne les habitants suivants établis entre 1647 et 1655, en plus de Couture et Bissot : les Miville au pied de la coulée Patton (près de l’actuelle marina), les Gauthier, Duquet, Cadoret à la coulée Tibbits, D’Ailelbouts dans le même coin, les Ursulines près de la rivière du moulin, Amyot, près du torrent qui porte son nom (à l’est du quai d’Ultramar, sur le cap on retrouve la rue Amyot !), Bourdon, Guyet, Lemieux, Pré, Bégin près des Couture et Bissot.

Jacques et Gabriel s’intégreront à cette communauté quelques années plus tard !

Mai-juin 1665, trois ans après le décès de leur mère, les deux frères, orphelins, âgés de 22 et 18 ans, décident de partir pour la Nouvelle-France.

Ils s’embarquent pour une longue traversée.[6]


[1] Le régiment de Carignan-Salières (1665-1669) — Bibliothèque et Archives Canada (bac-lac.gc.ca)

[2] (Vimont, 1858, pp. 608, 1649 p.15) (Roy J. , Histoire de la seigneurie de Lauzon, vol. 1, 1897)

[3] (Roy J. , Histoire de la seigneurie de Lauzon, vol. 1, 1897, p. 115)

[4] Le régiment de Carignan-Salières (1665-1669) — Bibliothèque et Archives Canada (bac-lac.gc.ca)

[5] (Roy J. , Histoire de la seigneurie de Lauzon, vol. 1, 1897, p. 68)

[6] Ils n’étaient peut-être pas les seuls de Saint-Gatien ; un dénommé Claude Cécire, âgé d’environ 18 ans, est arrivé en 1665 et se serait installé à Montréal comme domestique pour Jacques Lemoyne.